OBISK
Obisk s’est, entre autres, inspiré de l’environnement architectural du mur pour nous livrer cette peinture ultragraphique. Aprés quelques péripéties avec le voisinage, Il à écrit un texte sur son intervention.
« Sur une invitation du Palma festival, j’ai peint une fresque sur le gymnase du stade Pierre Lafond, situé à Mondeville, du 19 au 24 octobre 2020.
Aux artistes conviés, l’équipe du festival prend le parti de laisser carte blanche et de ne pas demander d’esquisse préalable. Il s’agit d’une marque de confiance forte envers le travail de ses invités, ainsi que d’une certaine prise de risque vis-à-vis de ses partenaires.
Ma première venue à Caen/Mondeville remonte aux vacances d’Automne 2019. Je m’y étais rendu à vélo depuis la région parisienne où je réside, avec l’intention de récolter de la matière, notamment photographique, que je voulais intégrer à mon intervention pour le festival, prévue initialement en avril 2020, et au cours de laquelle j’avais prévu de parler de la pratique du cyclotourisme associée à celle du graffiti. J’avais cousu un drapeau, pendu à une perche fixée à l’arrière de mon vélo, qui incarnait à la fois l’intervention à venir et le voyage en lui-même. Il y était écrit « Paris – Palma ».
Mon projet était de réaliser, en plus d’une fresque, un accrochage des drapeaux du même genre que j’avais réalisés pour différentes randonnées cyclistes au cours des dernières années.
La mise en place, le 17 mars 2020, du confinement national, a eu raison de la tenue du festival en avril, comme bon nombre de projets culturels, et donc de ma participation.
En septembre, j’ai eu le plaisir d’être informé qu’une édition restreinte du festival aurait finalement lieu en novembre 2020, et c’est ainsi que je suis revenu à Caen fin octobre.
Entre temps, le projet avait évolué, puisque le mur que je devais initialement peindre et au dessus duquel je devais accrocher les drapeaux avait été remplacé par un mur du stade Pierre Lafond, sur lequel l’accrochage n’était plus envisageable.
J’ai donc laissé tomber l’idée d’une médiation autour du vélo, mais en conservant l’envie de venir armé d’un drapeau.
L’inspiration du visuel sur celui-ci est venue d’un livre sur l’artisanat des perles dans le monde, et plus particulièrement d’une couverture ornée de bandes de broderie de perles réalisée par une communauté sud-africaine.
J’ai redessiné les formes qui y étaient représentées, et j’en ai tiré une série de sketches plus ou moins abstraits. L’un d’eux s’est transformé en une sorte de bâtiment, et c’est lui qui est devenu un drapeau.
Pour ma venue en octobre, j’ai choisi de donner un nouvel usage à ce drapeau, celui de montrer aux spectateurs qui passeraient pendant la réalisation de la fresque, ce qui serait finalement peint. L’idée était donc de peindre sur le mur, parmi d’autres objets, le « bâtiment » représenté sur le drapeau.
Pour moi, ce « bâtiment » évoque plusieurs choses. D’une part, les lettrages que je peins d’habitude, cernés de contours noirs épais. D’autre part, des images que j’associe un peu en vrac à des peintures et des mosaïques de l’ère soviétique, mais aussi à des illustrations de livres jeunesse de cette époque. Enfin, l’architecture de Mondeville, avec des toits à forte pente, des colombages, les petites maisons ouvrières murées du quartier Sainte Thérèse, la halle de tennis attenante au mur. L’idée globale de ma peinture était de suggérer la glorification colorée du sport en lien avec les bâtiments où il se pratique avec, en filigrane, un rappel de la valse immobilière en cours dans le quartier voisin. La phrase qui me vient en tête alors est « un esprit sain dans un corps sain dans un bâtiment sain ».
Le 16 octobre, quelques jours avant mon arrivée, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie est décapité par un islamiste à Conflans-Ste-Honorine en raison du fait qu’il avait montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet.
Le 19 octobre, alors que j’ai à peine commencé à peindre, un homme vient me voir et me dit, sans préambule, qu’il va falloir effacer la m**** que j’ai commencée.
Il est impossible d’engager une discussion, donc je lui suggère d’appeler la mairie. Il me répond que c’est ce qu’il compte faire.
Le lendemain matin, Gues me rejoint pour m’assister dans la réalisation de la fresque et nous sommes en train de peindre quand s’arrête à notre niveau une voiture de la police municipale. L’agent qui en sort nous explique, embarrassée, qu’un voisin a joint la mairie pour la prévenir qu’une fresque représentant des minarets était en cours d’élaboration en face de chez lui et qu’il menaçait de porter plainte. Je fais le lien avec l’homme rencontré la veille. L’agent me demande ensuite si je dessine réellemet des minarets, ce à quoi je réponds que non, avant de lui expliquer l’idée du projet, drapeau, sketches et livres sur les perles à l’appui. Elle nous annonce que, malheureusement, l’affaire a mis en ébullition la mairie, et que nous devons absolument nous interrompre.
Nous nous exécutons, et nous rejoignons l’organisation du festival, afin d’en discuter avec eux et de déjeuner. Dans leurs bureaux, je réexplique l’idée du projet. Mes explications sont couchées par écrit dans un mail à l’attention de la directrice générale des services. Il y est attesté que cette fresque ne représente pas de mosquée, ni de minaret. On nous fait lire en diagonale un mail écrit par le voisin, où il est évoqué le « vert de DAESH » (j’ai utilisé une spray verte pour tracer l’esquisse de la fresque, et du vert apparaît sur le drapeau, parmi 9 couleurs).
Nous sommes libres de reprendre la peinture, ce que nous faisons. Je repense à ce voisin mécontent, et nous apprenons que nous sommes à peine de retour qu’il recontacte déjà la mairie.
Au cours de l’après-midi, je mets cet incident de côté puisque d’autres voisin.e.s s’arrêtent pour discuter, et nous font cette fois des retours enthousiastes.
Le lendemain matin, au stade, alors que nous sortons d’un local de stockage les échelles et les pots de peinture dont nous avons besoin, le gardien, que j’ai déjà rencontré, me dit que je devrais faire attention car ce que je dessine ressemble à une mosquée. Cela lui a été suggéré par un de ses collègues, d’origine arabe.
J’explique une nouvelle fois l’origine et le sens de mon projet, mais il ne semble qu’à moitié convaincu.
Un automobiliste qui passe devant la fresque n’arrange rien en klaxonnant et en m’offrant un regard contrarié et un doigt d’honneur.
Une fois de plus, d’autres voisin.e.s prennent le temps de venir nous voir, nous félicitent et l’équilibre s’inverse.
Les jours suivants, la fresque avance, devient de plus en plus lisible, et plus personne ne vient faire de retour hostile. Les sourires se multiplient. Les personnes que j’interroge sur ce qu’elles perçoivent évoquent des châteaux (plutôt les enfants), de l’art moderne, des bus, des trains, la cité (quand je demande à cette dame d’être plus spécifique, elle me répond « la cité au sens large, au sens de la cité grecque)…
Le gardien du stade se trouve être un chasseur. Le jour où je l’ai rencontré, il m’a fait savoir qu’il avait tué, le week-end précédent, un lièvre de 4,5kg. Lorsque qu’il m’a demandé ce que j’allais peindre, je lui ai parlé de formes abstraites et je lui ai dit qu’il faudrait venir voir la fresque terminée pour se faire un avis. Il m’a suggéré de plutôt représenter des judokas ou des tennismen, étant donné que c’était ce que renfermait le bâtiment que j’allais peindre. Il m’a également demandé si je pouvais peindre un lièvre. Le dernier jour, je l’ai appelé pour lui montrer une surprise. Dans un recoin de l’enceinte du stade, je lui avais peint le lièvre, ce qui lui a fait très plaisir. Tout de suite après, je l’ai emmené voir la fresque et je lui ai demandé ce qu’il y voyait. Il m’a dit y voir des bus, un train, une église et plein d’autres choses ; il s’est montré emballé et n’a pas reparlé de mosquée.
Peinture dans la rue = confrontation
Refus du dialogue = obscurantisme »